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Luxe & Savoir-Faire

Le blog dédié aux précieux savoir-faire du Luxe, du Parfum et de la Mode.

Parfumeur-Créateur : Un métier et un savoir-faire français à défendre

Aujourd’hui symbole d’un luxe accessible, le parfum a fait partie des premiers marqueurs identitaires et différenciants de l’histoire de l’humanité.

Après l’arrivée des molécules de synthèse au début du 19eme siècle, qui révolutionnent cet univers fantasmé, le parfum de niche marque un nouveau tournant dans l’histoire de la Parfumerie.

C’est un retour au parfum artisanal, où les ingrédients de grande qualité entrent dans la composition de ces créations de Haute Parfumerie.

Ainsi la dimension artistique du créateur de parfumeur retrouve ses lettres de noblesse, un peu oubliées.

Les grandes maisons de Luxe et de Couture notamment, suivent cette tendance devenue évidence, et réintègrent ce savoir-faire en leur sein. Le métier de ‘Nez’, fascinant et méconnu, reste pourtant un métier de l’ombre. Quelques maisons s’aventurent à mettre en lumière leur créateur, mais ces initiatives s’expriment encore timidement.

Du côté des institutions, la démarche naissante de Frédéric MITTERRAND alors Ministre de la Culture, célébrait en 2012 ces artistes de l’odeur, lors d’une cérémonie officielle qui faisait Chevalier de la Légion d’Honneur, cinq grands parfumeurs (Daniela ANDRIER, Françoise CARON, Olivier CRESP, Dominique ROPION, et Maurice ROUCEL). Le discours du Ministre résonnait alors comme un hymne à la créativité olfactive.

Cette médiatisation ne sera toutefois pas suffisante pour insuffler une dynamique pérenne et permettre à ce savoir-faire d’obtenir la reconnaissance ultime, et bien légitime, de Métier d’Art.

Or, ce patrimoine immatériel français que l’on nous envie de par le monde, se doit d’être protégé pour mieux s’inscrire dans le futur, au même titre que tous les Métiers d’Art, qui font la richesse et la singularité de notre pays.

Les acteurs de ce secteur, qui représente un chiffre d’affaire global d’environ 25 milliards d’euros, continuent donc à œuvrer dans ce sens, avec passion et détermination.

Parmi eux, une grande dame, parfumeur-créateur elle-même, s’illustre pour son travail consacré à la défense de ce métier et de ce savoir-faire.

Rencontre exceptionnelle avec Madame Sylvie JOURDET, Fondatrice de CREASSENCE, qui lève le voile sur ces questions, en exclusivité pour Luxe & Savoir-Faire

 

Laetitia Grognux

 

 

SYLVIE JOURDET, Fondatrice de Créassence

 

 

Vous êtes Présidente d’Honneur de la Société Française des Parfumeurs, et avez tenu le rôle de Présidente par deux fois, cas exceptionnel au sein de cette association.

Quelles sont les missions majeures de la SFP aujourd’hui ?

Cette association rassemble les parfumeurs et tous les intervenants de l’industrie de la parfumerie, dans le domaine de la création (parfumeurs, évaluateurs, techniciens...).

Les missions consistent à défendre le savoir-faire de la filière française du Parfum, à réunir les acteurs du secteur autour de conférences, du salon SIMPPAR sur les matières premières (qui a lieu tous les deux ans), à établir la classification technique et officielle des parfums, entre autres…

La SFP, qui est à l’origine de la création de l’Osmothèque, a également créé récemment la Société Internationale des Parfumeurs Créateurs (SIPC).

Il s’agit de l’association de parfumeurs la plus importante au monde qui œuvre, à la fois, en faveur de la défense de la Parfumerie, pour la valorisation de ce savoir-faire français, et sur des projets d’envergure, comme le développement de la SIPC.

L’association a permis également, par exemple, d’évaluer le nombre de parfumeurs créateurs dans le monde. Le chiffre se situe aux alentours d’un millier, ce qui est peu. Un chiffre plus précis pourra être avancé d’ici quelques années.

 

Pourquoi si peu de parfumeurs créateurs, y-a-t-il un défaut de formations pertinentes ?

Non, en réalité l’industrie ne peut simplement pas absorber plus de professionnels dans ce domaine. Les grandes sociétés de création parviennent à répondre à la demande, avec une centaine de parfumeurs chacune. Beaucoup de jeunes n’accèdent donc pas à ce métier, alors qu’ils sont formés par de bonnes écoles telles que l’ISIPCA, qui est historiquement la première formation hors formation interne aux grands fabricants. Il y a aussi le Grasse Institute of Perfumery, qui forme beaucoup de parfumeurs étrangers au savoir-faire français et l’Ecole Supérieur du Parfum à Paris et Grasse, qui ont une vraie légitimité.

Ces écoles forment aussi des techniciens supérieurs, qui font vivre cette filière Parfum, tels que les technico-commerciaux, les évaluateurs, des responsables de contrôle, …. Ces écoles ne forment pas uniquement des ‘Nez’, il est important de le souligner.

 

A quel niveau se situent les besoins de l’industrie aujourd’hui, en termes de compétences ?

Depuis 10/15 ans, la réglementation a considérablement évolué. Les besoins se situent donc essentiellement dans ce domaine. L’industrie a besoin de responsables règlementaires, de reformulateurs, de parfumeurs analystes… des besoins nouveaux se créent.

 

Les règlementations européennes sont de plus en plus contraignantes concernant des matières premières soit allergènes soit interdites d’utilisation…  Comment envisagez-vous ces changements ? Ne représentent-ils pas, au fond, un nouveau champ de créativité ?

Chez les parfumeurs plus anciens, ces réglementations représentent une difficulté et ont nécessité des adaptations dans le processus de création. Mais mon discours, auprès des étudiants, est le suivant ; ces contraintes existent, elles ne disparaitront pas, adaptons-nous ! C’est effectivement l’opportunité de développer une nouvelle créativité.

Prenons l’exemple des musiciens, qui composent des partitions extraordinaires à partir d’une palette de notes beaucoup plus restreinte que la nôtre. Les parfumeurs créateurs ont à disposition des milliers de matières premières ! Même si certaines sont supprimées, nous pouvons réinventer à l’infini. Pour moi la créativité sans contrainte n’existe pas.

En revanche, je pense que nous devons continuer à nous mobiliser en faveur de ces matières, supposées allergènes.

 

Vous avez reçu les insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur le 26 Mai 2011, pour votre travail en faveur de la défense et de la valorisation du savoir-faire français du parfumeur-créateur. Comment vivez-vous la non-reconnaissance de ce métier en tant que Métier d’Art, alors qu’en 2012, le Ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, avait fait un pas dans ce sens ?

Je travaille beaucoup dans ce sens, mais j’ai compris qu’il fallait s’engager avec moins d’impatience. C’est un travail de longue haleine, cela prendra du temps. Il est aujourd’hui mis en œuvre par la SIPC.

La majorité des parfumeurs est employée par les grands groupes. Le but de notre action n’est pas d’inquiéter les dirigeants de ces grandes structures. Concrètement, la première chose que nous essayons d’obtenir, est la reconnaissance de ce métier. Il faut savoir que le parfumeur-créateur n’est pas reconnu comme un métier à part entière, il n’existe pas d’Ordre par exemple. Le premier objectif de la SIPC est de rassembler les parfumeurs créateurs que nous sommes, et de fédérer les autres ‘véritables’ parfumeurs dans le monde, afin de les recenser. Près de 300 parfumeurs, qui ont au minimum 5 ans d’exercice, sont déjà membres de l’association. Bien d’autres doivent encore nous rejoindre.

Le rôle de l’association est de définir ce métier et les formations requises, pour donner un cadre aux jeunes qui souhaitent exercer ce métier.

Frédéric MITTERRAND était très sensible à ce sujet, mais chaque ministère a une nouvelle vision, de nouvelles priorités... Nous avons décidé nous concentrer sur la définition des fondamentaux du métier de parfumeur et de son savoir-faire. A partir de là, il nous sera plus facile d’obtenir la reconnaissance du Ministère.

Nous espérons à terme, que soient reconnues notre profession comme Métier d’Art, et la création comme « œuvre de l’esprit ». Pour autant, nous ne nous mêlerons pas du droit d’auteur. En d’autres termes, le parfumeur continuera d’être rémunéré par une société, et les droits appartiendront à cette société. Nous nous devons de rassurer l’industrie sur ce point, pour que la situation reste claire et gérable.

Le métier de parfumeur-créateur est un métier de l’ombre… Les choses changeront peut-être si un jour, nous sommes reconnus en tant qu’artistes.

 

Dans cette même démarche, avez-vous défini une dénomination commune pour qualifier le métier de ‘Nez’ ?

La SIPC a déposé à l’INPI le nom de « Parfumeur-Créateur ». Nous avançons donc, pas à pas.

Nous travaillons également à la réalisation d’un dossier, qui n’existait pas encore à l’époque de Frédéric Mitterrand, dans l’objectif d’obtenir un jour cette reconnaissance et ce statut de Métier d’Art. Nous y parviendrons, j’en suis convaincue !

Nous avons également pour ambition de créer une Maison de la Parfumerie à Paris, qui regrouperait la SFP, la SIPC, l’Osmothèque et démontrerait ainsi, physiquement, l’unité de notre profession.

 

Vous êtes vous-même parfumeur-créateur et avez fondé Créassence, une maison de création de parfums, essentiellement dédiée aux parfums de niche.

N’avez-vous jamais eu l’envie de créer votre propre marque ?

Non et pour plusieurs raisons. Au début de la parfumerie de niche, il y a environ 18 ans, je faisais beaucoup de conseil olfactif, et j’ai réalisé qu’il n’existait pas de laboratoires qui offraient à ces nouvelles marques Le savoir-faire et la créativité que l’on peut retrouver chez les grands fabricants. La maison « Histoires de Parfums », l’une de mes premières collaborations, m’a poussé à développer mon propre laboratoire, pour accompagner les marques naissantes et leur apporter cette dimension créative.

J’ai choisi de ne pas créer ma propre marque, car je ne tiens pas à être en concurrence avec mes clients, et surtout, parce que ma vocation consiste à créer. Pas à vendre. La distribution est un terrain complexe, qui n’est pas mon métier. Aujourd’hui, avec ma collaboratrice nous accompagnons globalement les marques, c’est-à-dire depuis la création du jus, jusqu’au packaging. Si vendre n’est pas mon domaine en revanche, j’aime travailler en collaboration avec des marques qui ont un vrai regard artistique et qui m’emmènent vers d’autres directions que je n’aurais pas forcément explorées. C’est ce travail d’exploration commune qui me passionne.

 

Quel grand parfum auriez-vous aimé créer ?

Il y en a beaucoup ! Parmi les parfums plus anciens, je dirais Mitsouko, Miss Dior… J’aime beaucoup les chypres. Les fleuris aussi, Diorissimo par exemple, est une très belle écriture, très simple, un muguet merveilleusement interprété. Chanel N°5 était aussi un parfum audacieux, avec une écriture particulièrement intéressante. Plus récemment, Narcisso for Her, que je trouve élégamment travaillé, modernisé. Dans les orientaux, je dirais Shalimar, avec encore une fois, une écriture d’une grande simplicité apparente et une harmonie évidente.

Paradoxalement, j’aime les chypres pour la complexité dans l’écriture, pour le côté artistique, et d’autres, pour la fluidité dans l’écriture et la simplicité dans la construction.     

 

Quel est votre regard sur l’évolution du savoir-faire du parfumeur ?

A l’époque des parfums que je viens d’évoquer, les choses étaient simples. Il y avait un créateur et un parfumeur. Il n’y avait pas tous les intermédiaires, marketing, tests clients, etc…, que nous avons aujourd’hui. A mon niveau, j’ai la chance de pouvoir travailler encore un peu avec cette liberté.

De nos jours, la création est beaucoup plus globalisée, plus normée. Mais en parallèle, nous assistons au développement de la parfumerie de niche également appelée parfumerie alternative ou parfumerie artistique. En termes de chiffre d’affaire, ce segment reste encore petit, mais en termes de création, il y a un véritable élan, un renouveau qui s’exprime. C’est une bouffée d’oxygène pour cette industrie. Pour autant, je reste très admirative des succès qui sont créés par les grandes maisons, malgré les contraintes de marché importantes.

 

 

Un grand merci à Sylvie JOURDET pour cette interview exclusive Luxe & Savoir-Faire

Crédit photo:  www.creassence.com

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