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Luxe & Savoir-Faire

Le blog dédié aux précieux savoir-faire du Luxe, du Parfum et de la Mode.

Duvelleroy, la Haute Eventaillerie française sauvegardée

La France recèle des trésors de savoir-faire et abrite des maisons de tradition, parfois endormies.

S’engager à faire revivre cet héritage, est un acte fort qui revient à préserver notre identité par la sauvegarde de précieux métiers voués à disparaître.

Parmi les savoir-faire français devenus rares, celui de l’Eventailliste, qui a su traverser les époques et continue, à son rythme, de raconter notre histoire.

Aujourd’hui, l’Institut National des Métiers d’Art ne recense plus que trois artisans dans cette discipline sur notre territoire, dix dans toute l’Europe !

Les préserver est donc une nécessité, car la demande pour cet art délicat est bel et bien présente, notamment dans la mode et la Haute Couture.

Cette aventure humaine et entrepreneuriale,  Eloïse Gilles et son associée Raphaëlle de Panafieu, s’y sont plongées avec la passion qui les anime pour l’art de l’Eventail.

En reprenant la maison parisienne Duvelleroy, l’une des plus emblématiques de cet univers confidentiel, elles choisissent de redonner vie à une pépite, l’inscrivent dans la modernité tout en préservant sa tradition.

La Directrice de la maison, nous livre le récit de ce pari un peu fou, ponctué du langage vaporeux propre à ce savoir-faire subtil, dans sa boutique parisienne à l’atmosphère surannée.

 

 

RENCONTRE EXCLUSIVE AVEC ELOISE GILLES

DIRECTRICE DE LA MAISON DUVELLEROY

 

 

Bonjour Eloïse et merci d’avoir accepté cette interview, dans cet écrin qu’est votre boutique Duvelleroy, parfaitement identifiable de par sa devanture bouton d’or.

Vous avez décidé il y a quelques années, de reprendre avec votre associée Raphaëlle de Panafieu, la maison Duvelleroy. Comment a commencé cette aventure, cette envie de réveiller cette belle endormie ?

 

Très simplement, j’ai rencontré mon associée, Raphaëlle, un été autour d’une piscine !

Elle portait elle-même un éventail. Nous nous sommes piquées au jeu d’imaginer le retour de cet accessoire devenu désuet en Occident.

Mon parcours était celui de l’ESSEC et Raphaëlle avait fait Science Po. Nous n’étions ni l’un ni l’autre designer ou artisan.

Nous considérions alors que notre démarche ne serait légitime qu’à la condition de reprendre une maison, qui offrait un  savoir-faire et un patrimoine. 

Nous avons donc entrepris des recherches dans ce sens, et avons été surprises de découvrir l’histoire des éventails à la française, les maisons qui avaient existé depuis le 17eme siècle, et en particulier de celle qui avait survécu, la maison Duvelleroy. Née en 1827, elle recelait un patrimoine extraordinairement riche et ce savoir-faire pour l’éventail couture, autrement dit brodé, avec des sequins, en marqueterie de plumes... tout ce qui fait la magie de l’éventail à la française !

Notre ambition était de relancer l’éventail comme objet de mode, comme accessoire.

 

Vous proposez deux lignes d’éventails distinctes, la Haute Eventaillerie et des collections Mode… 

En relançant la maison, nous avons préservé ce savoir-faire qui nous a valu d’obtenir, en 2012, le Label Entreprise du Patrimoine Vivant. Nos éventails couture s’inscrivent dans la pure tradition de la Haute Eventaillerie. Ce sont des éventails assez spectaculaires, que nous vendons beaucoup comme objet décoratif.

En parallèle, nous avons également lancé, une ligne d’éventails de mode, plus accessibles en terme de prix et beaucoup plus faciles à porter, à ranger dans un sac à main.

Pour cela, nous avons choisi de réaliser des collaborations avec des designers deux fois par an. Nous avions débuté avec Jean Charles de Castelbajac, qui avait inscrit ‘Air conditioning’ sur la feuille de l’éventail. Nous avons travaillé avec des artistes très différents, le tatoueur Mo Coppoletta, l’artiste brodeuse Inge Jacobsen, le designer Sinan Sigic d’Atelier Hapax.

Nous renouvelons nos collaborations chaque année.

Nous avons également nos propres dessins, comme l’éventail masque, des motifs graphiques art déco, que nous vendons dans le monde entier. Il se trouve que le réchauffement climatique a un véritable impact sur nos ventes. L’éventail est un accessoire de mode mais il est aussi bien utile pour se rafraîchir !  

Eventail Mode

 

Eventail Luxe

           

Dans quelle partie du globe réalisez-vous votre volume de vente le plus important ?  

Notre boutique est située rue Amélie, dans le 7eme arrondissement de Paris. Mais la grande majorité de nos revendeurs se trouvent à l’étranger. Nous travaillons beaucoup avec des points de vente estivaux, dans des lieux huppés ou des grands magasins de mode ou concept stores.

Et nous avons bien sur notre site marchand, qui nous permet de vendre dans le monde entier.

Notre activité fonctionne bien pour deux raisons, d’une part nous assistons à une revalorisation des métiers d’art et  d’autre part, du fait de l’impact du réchauffement climatique que j’évoquais.

Sans compter le cycle de la mode qui se renouvelle éternellement…

 

Où se situe votre atelier ?

L’éventailliste de la Maison, Frédérick Gay, a son atelier à Romans-sur- Isère, dans la Drôme, la capitale de la chaussure.

Nous organisons parfois des Workshop avec lui à Paris, chez les clients ou encore, comme cela a été le cas récemment, à l’occasion de la première exposition des plus beaux artisans d’art d’Europe, Homo Faber, qui a eu lieu à Venise.

 

Quelles sont les étapes de création d’un éventail ?

Il faut tout d’abord apprêter le tissu pour le rigidifier et lui permettre de prendre le pli, en le baignant  dans un apprêt, choisi en fonction de la nature du tissu.

Puis le tissu est séché, découpé et déposé dans un moule à plisser. Nous reproduisons la même technique qu’au 19eme siècle.

Le moule à tisser est composé de deux parties, une partie mâle, une partie femelle avec un pli central marqué par une encoche.

Il existe autant de moules à plisser que de formes d’éventails. Cela va dépendre de la hauteur de la feuille, du degré d’ouverture de l’éventail (180°, 60°, 360° pour l’éventail cocarde…), du nombre de brins souhaité et donc du nombre de plis. Avec la même ouverture il est possible de former 4 plis ou 20 !

C’est en fonction de tous ces paramètres, que l'on crée un moule à plisser.

Notre éventailliste, Frédéric Gay a l’art de plisser les éventails. Une fois le tissu placé dans le moule,  il suffit de 5 minutes pour que le plissage prenne, et tienne pour toujours…

Il faut aussi travailler la monture, qui peut être en nacre, en bois, en fibre de carbone… c’est un travail de tabletterie, la découpe brin par brin de ce qui va créer la structure de l’éventail.

Le premier et le dernier brin, composent ce que l’on appelle un panache et un contre-panache, qui vont permettre d’ouvrir et de fermer l’éventail. 

Il peut y avoir une étape d’ennoblissement, par la broderie, l’encollage de plumes, la marqueterie…

Puis vient l’étape de montage, celle où l’on encolle les brins pour joindre la feuille et la monture.

Suivent ensuite les étapes de finition. Il s’agit d’arrêter le tissu sur le petit tour de l’éventail, puis sur le grand tour.            

Le moule à plisser
Les brins

 

Quel est le temps de fabrication moyen pour un éventail couture ?

Cela peut demander des centaines d’heures. Par exemple, nous avons un éventail paon, qui demande, tout d’abord, un travail de préparation de la plume très particulier.  Ainsi, en comptant le travail de marqueterie pour les panaches en nacre, le travail des plumes, le gainage de soie de chaque brin… il faut facilement compter une centaine d‘heures.

 

La réalisation de vos éventails d’exception, nécessite l’intervention de plusieurs artisans au savoir-faire bien distinct. Comment s’organise ce travail de création?

Notre éventailliste réalise le travail en amont sur toutes les étapes clés  de l’éventail, c’est-à-dire, la conception, le plissage, le montage…

Puis nous collaborons avec beaucoup d’artisans d’art indépendants, notamment avec l’ennoblisseur Anne Gelbard, le plumassier Maxime Leroy, la tisserande Frédérique Lamagnère, la marqueteuse de paille Lison de Caunes…

Nous travaillons avec  des artisans d’art qui ont un savoir-faire extrêmement précis et innovant, qui permet de repousser la pensée de l’objet,  pour les éventails d’exception.

Concernant nos collections d’éventails de mode, c’est différent. Nous collaborons d’avantage avec des designers que des artisans d’art, nous jouons plus sur le dessin que sur les techniques de réalisation.

 

Il n’existe aucune formation au métier d’éventailliste. Comment peut-on acquérir ces gestes précis, sachant que seuls, 3 éventaillistes sont recensés en France par l’Institut National des Métiers d’Art?

La formation s’effectue en atelier. Notre éventailliste a été formé par le Maitre d’art Anne Hoguet.

Nous recevons régulièrement des candidatures pour l’apprentissage de ce savoir-faire, mais il y a peu de débouché, donc peu d’éventaillistes formés.

 

Quel est le temps d’apprentissage nécessaire pour maitriser les gestes ?

En principe deux années sont nécessaires pour maitriser les différentes facettes de ce métier ; la tabletterie pour la monture, le montage, le plissage des feuilles en tissu, l’ennoblissement et le travail de la plume comme la marqueterie de plume.

Il s’agit de disciplines très différentes, et à l’origine l’éventailliste est un ensemblier, autrement dit il coordonne les différents métiers. Le seul geste propre à l’éventailliste est le plissage, et le montage bien sur qui se fait à l’atelier également. Les autres gestes et travail de matières, existent dans d’autres métiers. Par exemple, lorsque nous utilisons de la corne, nous faisons appel à un artisan qui crée des boutons en corne, tout comme cela se faisait au 19eme.

 

Justement, la marqueterie de plume est l’un des savoir-faire emblématiques de la maison Duvelleroy…

Oui, effectivement. Pour cela, nous utilisons « un couteau », une base de plumes plus larges, comme l’oie ou l’autruche, sur laquelle nous encollons de plus petites plumes, telles que les plumes de paon.

Votre maison possède également des emblèmes, tels que la forme de l’éventail ballon, ou encore la marguerite qui scelle chacun de vos éventails. Que symbolisent-ils pour Duvelleroy ?

La forme ballon  est née à l’époque Art nouveau, elle est inspirée de la forme de la montgolfière… et aussi des coquilles Saint-Jacques.

Quant à la marguerite, elle symbolise le printemps, l’arrivée de l’été, la fraicheur…

C’est également une forme de langage, qui permet en l’effeuillant de savoir si Je T’aime, Un Peu, Beaucoup, Passionnément ou Pas du Tout…

La marguerite est née à une époque où l’on célébrait l’univers floral et organique. C’est un vestige de cette époque stylistique, et en même temps, elle est annonciatrice de l’arrivée de la belle saison, qui nous est chère ...

La forme ballon

 

La marguerite

 

Lorsque vous avez repris la direction de cette maison d’exception, avez-vous retrouvé le patrimoine matériel d’origine (moules à plisser, instruments utilisés par les éventaillistes de l’époque, matériaux, modèles anciens…) ?

Oui ! C’était incroyable d’ailleurs. Michel Maignan, qui avait reçu ce fonds de son grand-père, avait soigneusement conservé tous ces moules à plisser, les plumes d’oiseaux triées, les éventails anciens …  Tout était extraordinairement préservé, les livres de comptes, les boites d’emballage, les dessins originaux, les catalogues…

D’une certaine façon, nous avons découvert une belle au bois dormant !                

Détails de personnalisation

  

Les dessins d'archive

 

L’éventail est associé à un langage codé, un langage amoureux beaucoup utilisé à l’époque dans les salons. Est-il aujourd’hui sollicité par vos clients ?

Ce langage passionne tout le monde ! Et nous avons eu la chance de retrouver le petit livret qui expliquait ce langage mystérieux. Nous l’avons donc réédité et l’offrons pour l’achat d’un éventail. 

Petit précis du Langage de l'Eventail

 

                             

Les commandes spéciales, notamment pour les têtes couronnées, les chefs d’état, étaient fréquentes dès l’ouverture de la boutique en 1827. Est-ce toujours le cas ?

 Oui effectivement, nous avons eu une commande de l’Elysée pour une visite officielle, nous avons réalisé un éventail pour la reine d’Espagne, Letizia Ortiz, mais également pour des célébrités comme Dita Von Teese…

Nous travaillons à la fois beaucoup pour les maisons de luxe comme Guerlain pour l’ouverture de leur flagship, Dyptique… et répondons à des demandes plus particulières. Un époux, souhaitait par exemple, que nous réalisions pour sa bien-aimée, un éventail en corail avec un nombre de brins correspondant au nombre d’années de leur mariage, un autre nous a demandé une création à partir d’un carré de soie symbolique pour sa femme… des attentions très originales et poétiques !

 

A l’origine, la maison Duvelleroy était également un maroquinier.  Est-ce une activité que vous envisagez de développer à nouveau ?

Tout à fait ! Nous nous concentrons pour le moment sur l’éventail qui est notre ADN, mais la maison a toujours eu un savoir-faire maroquinier extraordinaire et proposait des sacs de jour, de soir, aux formes très identifiables, car liées à celle de l’éventail. Nous envisageons donc effectivement  de proposer à nouveau de la maroquinerie, le jour où nous serons prêts.  

 

 

 

Un grand merci à Eloïse GILLES pour cette interview Luxe & Savoir-Faire !

 

Crédit photos :   Maison Duvelleroy  

                              Maud Bernos

Photos personnelles

 

 

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